Traumatisme et journalisme: reconnaître les conséquences psychologiques du reportage

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À l’occasion de la 10ème Conférence internationale sur le journalisme d’investigation,  journalistes et spécialistes insistent sur la nécessité de créer un espace de soutien psychologique pour aider les journalistes à faire face à de nouveaux challenges.

Capture d’écran du documentaire “The Swedish terrorist”, d’Axel Gordh Humlesjö, qui dresse le portrait de Mohamed Belkaid, le terroriste qui a organisé les attaques terroristes du 13 novembre 2015 à Paris.

“J’ai reçu une lettre anonyme envoyée à mon bureau : elle contenait une menace de mort et une poudre s’est répandue partout lorsque j’ai ouvert l’enveloppe. On a dû fermer tout l’immeuble pendant plus de cinq heures pour vérifier s’il s’agissait d’une poudre explosive.” Axel Gordh Humlesjö est journaliste d’investigation en Suède. Il est spécialisé dans les enquêtes sur les réseaux de grande criminalité, les organisations terroristes et néo-nazies. Le courrier a été envoyé peu de temps après la diffusion de son enquête sur la radicalisation de Mohamed Belkaid, le terroriste qui a coordonné l’attaque du 13 novembre 2015 au Bataclan. Axel Gordh Humlesjö est conscient des risques qu’il est amené à prendre au cours de ses enquêtes et des conséquences psychologiques pour lui et sa famille : “Troubles du sommeil, angoisses… L’un de mes trois enfants fait souvent des cauchemars en ce moment, il s’imagine qu’on va venir le kidnapper.”

En Suède, le journaliste sait qu’il peut compter sur le soutien de sa rédaction pour assurer sa sécurité et celle de sa famille : faux papiers d’identités, fausses adresses, et, dans les périodes les plus dangereuses de ses enquêtes, des caméras de surveillance sont installées à l’entrée de son domicile et des gardes du corps assurent sa protection. Tout est pris en charge par la rédaction. “Jamais je ne pourrais couvrir ces sujets-là si j’étais pigiste. Ce serait beaucoup trop risqué. Et pourtant, il faut enquêter sur ces organisations, c’est crucial.”

La télévision suédoise propose également des consultations avec des psychologues pour les journalistes confrontés à des contenus violents ou des menaces de mort dans le cadre de leur travail.

A la Conférence Internationale sur le journalisme d’investigation, un atelier sur la santé psychologique a été mis en place spécifiquement pour les journalistes. Photo: Daylin Paul

Créer un espace de discussion au sein des rédactions : c’est ce que vise le Dart Center, un ‘think tank’ créé en 1999 à New York qui pousse les rédactions à tenir compte de la dimension psychologique et éthique lorsque les journalistes doivent couvrir des attentats, des catastrophes naturelles, des génocides ou interroger des sources sensibles. Bruce Shapiro est le directeur du Dart Center. Il a constaté une évolution dans l’approche des rédactions : “Au départ, il avait beaucoup d’appréhension et des réactions un peu ‘vieux jeu’ du style ‘Hey, si tu n’es pas capable de gérer tes émotions, c’est que tu n’es pas fait pour ce job!’ Puis il y a eu les attentats du 11 septembre à New York, l’ouragan Katrina, la guerre en Afghanistan… Des événements pour lesquels les journalistes n’étaient pas préparés. Depuis, de nombreuses rédactions dans le monde entier réfléchissent à cette problématique.”

Selon Bruce Shapiro, il est nécessaire de reconnaître les nouveaux challenges auxquels les journalistes doivent faire face et d’intégrer les possibles conséquences psychologiques du métier, comme c’est le cas depuis plusieurs années pour d’autres professionnels tels que les pompiers, les policiers ou les soldats : “Les journalistes sont devenues des cibles et il faut ouvrir le dialogue au sein des rédactions, il faut que les journalistes puissent échanger sur leur vécu parfois difficile sur le terrain et créer un environnement d’entraide”

Avec le recul, Axel Gordh Humlesjö admet que cette le soutien psychologique de sa rédaction a été crucial après la diffusion de son documentaire : “Quand j’ai reçu l’enveloppe, ça été un vrai choc. Pour la première fois j’ai réalisé l’impact psychologique et cela m’a beaucoup aidé de pouvoir en parler à des spécialistes.”


Adèle Humbert is an investigative radio and data journalist based in Paris. She worked on the Paradise Papers at Radio France with the ICIJ. She previously investigated potential wrongful convictions at the Medill Justice Project in the United States and produced “Shaken” an award-winning long-form audio story. 

Daylin Paul is an independent photographer, visual journalist and photojournalism educator based in Johannesburg. He is the 2017 winner of the prestigious Ernest Cole Award for Photography for his ongoing documentary Broken Land and the 2017 Hostwriter Pitch Prize for Collaborative Journalism. His work has appeared in The New York Times, The Guardian, Foreign Policy, Financial Times and Huffington Post

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